Enjeux ludiques
CRÉATION DE JEU
La vitrine, parsemée de boîtes de jeux, se cache en plein milieu d’un quartier résidentiel du Mans, au 48 rue Béranger. C’est ici que La Mèche rebelle, éditeur, créateur et fabricant de jeux de société, a élu domicile depuis 1996. Stéphanie Czinober, illustratrice et moitié du noyau dur de la société, nous accueille dans le show-room, où sont exposés les produits. Mais très vite, elle nous emmène dans l’arrière-boutique, où trônent le stock, les bureaux et l’atelier de fabrication. Au milieu des cartons et des étagères, elle entame l’historique : « Au lycée, on formait un petit groupe qui se réunissait pour discuter et pour jouer aux cartes, aux échecs ou au go. Plus tard, quand on était étudiant, avec Stéphane et Raphaël, on a eu envie de créer notre propre jeu. Il s’appelait Arènes. Nous avons construit plusieurs maquettes dans les garages de nos parents et on l’a présenté au Flip, le festival ludique international de Parthenay. »
L’accueil est si bon que le trio décide de créer une entreprise. S’en suivent tout un tas de festivals, de présentations... Et petit à petit, des commandes. L’activité se développe mais nos trois compères n’en vivent pas. Finalement en 2002, ils décident de sauter le pas et d’en faire leur occupation à plein temps. Raphaël part dans le sud, motivé par un autre projet. Stéphanie et Stéphane restent et font perdurer la petite entreprise, qui embauche même des salariés depuis 2009.
Penser un univers pour chaque jeu
La Mèche rebelle édite des dizaines de jeux, dont certains qu’elle crée de A à Z comme À vos paniers ou Cache-cache party. « Le processus créatif n’est pas artistique, estime l’illustratrice, mais à chaque jeu, il faut penser un univers. C’est un peu comme écrire un petit scénario pour rendre le jeu cohérent et amener le joueur dans cet univers. Parfois je me réveille un matin avec une idée, je me mets à gribouiller. » De là, naissent des ébauches de règles, des esquisses de cartes, de plateau, de pions. « La source peut être n’importe quoi, une discussion entre amis, un documentaire à la télé… Mais au début, j’ai imaginé des choses un peu trop grandes pour nous, parce qu’il ne faut pas oublier que nous sommes une entreprise et qu’aucun mécène n’est là pour nous permettre de réaliser nos envies », rappelle Stéphanie.
Chaque jeu comporte un risque financier. Elle a donc intégré le facteur économique dans sa manière de les penser. Elle expose ensuite ses « gribouillis » au reste de l’équipe afin d’identifier les « bugs », les impasses, les limites du jeu. « Bien sûr, chacun à La Mèche rebelle peut amener ses idées et on les essaye de la même façon, poursuit-elle. Quand le jeu parait jouable, on fait une maquette en vue de le proposer au public. » Elle affine donc ses essais pour donner corps aux éléments qui constitueront le jeu.
Du fun, des parties courtes, des règles simples
La Mèche rebelle est en cheville avec Planet’jeux, la ludothèque associative dans le quartier de Pontlieue, au Mans.
« Ils testent nos jeux avec leurs adhérents, explique Stéphanie, ils peuvent l’essayer avec des groupes différents, des enfants, des ados, des adultes… Ils donnent leur sentiment sur tous les éléments du jeu et nous nous adaptons en fonction. Ça nous permet de cibler un public, et donc, des clients. » Parfois, l’idée peut être bonne mais arriver trop tôt ou trop tard. Les effets de mode touchent également le monde du jeu de société. « Dans les années 90, se souvient l’éditrice, on a connu le succès du jeu Abalone, avec un plateau nu, sans décor, juste des billes noires et blanches. En voyant cet exemple, on s’est dit que tout était possible. Mais au fur et à mesure, même les jeux de stratégie ont été habillés, avec des illustrations, des belles cartes. Actuellement, les jeux qui fonctionnent respectent trois critères : du fun, des parties rapides (entre un quart d’heure et une demi-heure) et des règles simples, assimilables en deux-trois parties. Et en plus, ils doivent être intemporels. »
C’est pourquoi certaines idées de notre créatrice, comme Uxmal, un jeu sur les Mayas et leur fameux calendrier, dorment encore dans les tiroirs en attendant un hypothétique retournement des tendances. De même, un jeu peut concentrer tous les ingrédients nécessaires mais être trop cher à dupliquer. « Quand c’est le cas, on reprend les éléments un par un et on cherche les économies. Parfois, on élimine un aspect du jeu et ça influe sur les règles. »
Des jeux en éco-conception
Depuis le milieu des années 2000, la jungle des éditeurs de jeu parait de plus en plus touffue pour Stéphanie Czinober. Elle la compare à l’édition de livres jeunesse : une pléthore de petites structures, dont beaucoup n’en vivent pas. Afin de continuer son activité, La Mèche rebelle cherche alors des partenaires, car « sortir un jeu tout seul n’est plus possible économiquement », assure notre interlocutrice. « Depuis 2008, nous réalisons des jeux sur mesure. Le partenaire arrive avec son idée, parfois très précise, et nous le conseillons pour la réalisation. Nous devenons un prestataire de service. Dans ces cas-là, la créativité se concentre sur l’habillage, les illustrations, et bien sûr, sur les matériaux. » Un paramètre central pour La Mèche rebelle, qui fabrique ses jeux en éco-conception. « Un jour, en 97 ou 98, on revenait de chez un imprimeur. Quand nous avons ouvert le carton, l’odeur des encres a envahi la pièce, ça nous piquait les yeux. Avec Stéphane, on s’est dit qu’on ne voulait pas faire subir ça à ceux qui achèteraient nos jeux, proteste Stéphanie. On s’est renseigné sur les encres végétales, et puis on a cherché une filière pour le carton, le bois et toutes les étapes de la construction des jeux. On travaille en France, un peu en Allemagne et en Hongrie, d’où est originaire ma famille. Nous pourrions trouver moins cher plus loin, mais c’est un parti pris. » Sans doute à cause de la mèche.
• AMIN AL CHAGUE
Chaque année, une profusion de jeux encombre les rayons des magasins.
Classiques ou nouveaux, ils émanent de l’imagination débordante de créateurs. Comment fabrique-t-on un jeu de société ? quels sont les ressorts de la création ludique ? Pour le savoir, nous sommes allés à la rencontre de Stéphanie Czinober, membre fondateur de La Mèche rebelle, éditeur de jeux basé au Mans.